« Casser la voix »

« Casser la voix »

 

J’avais envie aujourd’hui de vous parler d’une émotion dont on est rarement fier, que l’on essaie souvent de cacher ou de contenir. D’une émotion que l’on n’apprécie guère voir soudainement apparaître dans des lieux publics comme, au hasard, les centres commerciaux. Surtout quand il s’agit de la prunelle de nos yeux, je veux parler de nos chers bambins, qui est concernée. D’une émotion qui est en quelque sorte la mauvaise élève des émotions. Mais oui, je vais vous parler de la colère.

Ou plutôt des colères ! Car il y a toute une palette de colères, allant de la couleur pastel à une teinte plus vive. Elle peut apparaître sous la forme de l’irritation, de l’agacement, de l’indignation, en passant par la fureur et même par la violence physique. Et, selon son degré, elle est plus ou moins source de souffrance pour celui qui la vit ainsi que pour son entourage.

 

Mais, bien évidemment, à travers ces quelques lignes, j’aimerais aborder la colère sous un angle plus contextuel et relationnel. De manière générale, la colère peut se définir comme suit :

Un état affectif violent et passager, résultant d’un sentiment d’agression, d’un désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions brutales. C’est aussi un sentiment d’irritation par rapport àce qui nous blesse.

Contextualisée, la colère est donc une défense contre un environnement qui nous semble hostile et injuste.

Avec ces deux définitions, on voit que la colère est la conséquence d’un évènement que l’on vit comme étant désagréable. C’est parce que l’on s’est senti blessé, voir agressé, que l’on se met en colère. La colère est donc une défense contre un environnement qui nous semble hostile et injuste. Je trouve que la colère prend une autre signification, une fois contextualisée. Elle prend alors racine dans un terreau, c’est à dire dans un contexte bien défini avec des raisons précises. Et devient donc plus relationnelle qu’intrinsèque. N’oublions pas aussi de dire au passage que la colère a une autre fonction que l’on oublie parfois : c’est un moteur de changement. Elle peut nous pousser à nous surpasser.

N’oublions pas aussi de dire au passage que la colère a une autre fonction que l’on oublie parfois : c’est un moteur de changement.

Quand je pense aux livres pour enfants qui traitent de la colère, comme La grosse colère, La colère du dragon, Non, non et non, Nina est en colère et tant d’autres avec des titres tels que gérer ou surmonter sa colère, ou même la calmer, la colère y est souvent décrite comme l’ennemie numéro 1 à combattre, devant être stoppée à tout prix, et surtout comme étant une émotion déconnectée de notre personne et de ce que l’on vit. Dans ces livres, la colère est souvent représentée comme un monstre, un animal sauvage ou un dragon qui s’empare de nos enfants. Une colère qui tombe du ciel ! Mais les bonnes raisons du dragon d’être en colère ne sont généralement pas évoquées ou trop rapidement. A quand le livre traitant de la colère qui poserait la question suivante à l’enfant en colère (vous en connaissez peut-être ? j’attends vos suggestions) : « mais qu’est-ce qui te met en colère ? » Et qui ensuite, illustrerait comment cette colère serait traversée, accueillie, sans jugement et remarques négatives de l’entourage, et qui se terminerait sans morale et sans le message implicite suivant : « c’est mal de se mettre en colère ! ». Dans lequel l’enfant en colère n’aurait pas besoin de s’excuser de s’être mis dans cet état. Car s’excuse-t-on d’être triste ou heureux ? Doit-on s’excuser de ressentir une émotion ? « Ce n’est pas nous qui décidons de ressentir telle ou telle émotion, mais ce sont les émotions qui viennent à nous. » (extrait de la brillante conférence d’Amanda Maitre : « Bonjour Tristesse, Colère et Peur »).

 

D’ailleurs, qui sommes-nous pour hiérarchiser les émotions, pour décider qu’une émotion est meilleure qu’une autre, plus noble en quelque sorte ? Pour ma part, je trouve qu’il n’y a pas de mauvaises émotions.

Il y a des émotions et chacune d’entre elles a une fonction, mais aussi un message à nous transmettre, en chuchotant ou en hurlant. Et la colère est souvent « hurlante » si l’on ne tend pas régulièrement l’oreille aux mots qu’elle nous murmure.

Combien de fois entend-on en consultation mais aussi dans la vie de tous les jours : « je ne dois pas me mettre en colère », « j’aimerais pouvoir apprendre à gérer ma colère ou celle de mon enfant » ou encore « ne te mets pas ainsi en colère ! » ?

Il y a des émotions et chacune d’entre elles a une fonction, mais aussi un message à nous transmettre, en chuchotant ou en hurlant.

Employeurs, parents, professeurs et conjoints ont souvent cette demande : que la colère soit contenue. Et je vois donc arriver en consultation des patients qui veulent stopper cette émotion perçue si négativement par l’entourage car bruyante, visible, honteuse, et qui parfois péjore leurs relations et les font souffrir.

En ce qui me concerne, je n’ai qu’une envie en tant que thérapeute : la bichonner cette colère, en prendre soin, l’accueillir, la normaliser ! Et utiliser une phrase que je trouve magique, un baume calmant de la colère, à utiliser sans modération et qui pourrait se traduire ainsi : « Vous avez sûrement de bonnes raisons d’être en colère, racontez-moi ?». Car cela n’a pas le même effet de dire à quelqu’un : « tu es un colérique ! », que de lui dire : « il y a sûrement des bonnes raisons qui t’ont mis(e) dans cet état ». La première phrase enferme la personne, l’étiquette alors que la deuxième est, je trouve, plus déculpabilisante. Et surtout, elle est contextuelle sans pour autant être déresponsabilisante. C’est plutôt la deuxième approche que nous privilégions au Centre Sésames.

« Vous avez sûrement de bonnes raisons d’être en colère, racontez-moi ? »

Alors comment vivre et accompagner au mieux sa colère ? Je trouve très jolie cette métaphore du bassin de rétention d’eau dont les vannes restent fermées malgré l’orage qui se fait de plus en plus fort et violent entrainant alors une augmentation du niveau d’eau du bassin. A l’orage suivant, les vannes sont toujours fermées, et l’eau continue de monter et finit par déborder, emportant et détruisant tout ce qui se trouve sur son passage. Il en va de même pour la colère.

Mais que se passerait-il si l’on ouvrait les vannes du bassin à chaque orage ? Et bien le niveau d’eau, tout comme la colère, baisserait si elle pouvait sortir à mesure, à chaque orage, à chaque contrariété. Nous ne finirions donc pas par exploser de colère. Et surtout que ce serait bon si, à chaque ouverture des vannes, on se disait : « Vas-y, sors ma colère ! tu as de bonnes raisons d’être là. » Et si des personnes de notre entourage nous enveloppaient de cette phrase : « Vas-y ! Tu en as besoin ».

Bien entendu, il y a des conditions à mettre en place pour que la colère s’évacue sans faire de dégâts collatéraux. Et puis, il ne faut pas se mentir, laisser sortir sa colère, c’est la laisser s’exprimer, brute, telle qu’elle est dans notre coeur. C’est donc rude et rarement politiquement correct ! Au Centre Sésames, nous accompagnons nos patient.e.s dans cet exercice peu pratiqué dans nos sociétés, qui ne veulent laisser transparaître souvent que ce qui raisonnable et sous contrôle.

Je termine cet article en vous posant cette question : Quel effet la phrase « calme-toi ! » a comme effet sur votre colère ? Je vous laisse chercher la réponse dans vos souvenirs. Et que celui qui ne s’est jamais « cassé la voix » me jette la première pierre !

 

Références :

La Colère du Dragon Album, Philippe Goossens & Thierry Robberecht, 2005
Grosse colère, Mireille d’Allancé, 2001
Non, non et non, Mireille d’Allancé, 2001

Nina est en colère, Christine Naumann-Villemin, Marianne Barcilon & Marianne Barcilon, 2017 3 à 6 ans

« Bonjour Colère, Tristesse et Peur », conférence d’Amanda Maitre à l’occasion des 10 ans de Chagrin Scolaire

 

L’auteure :
Nadia Riva, thérapeute systémique Centre Sésames

Nadia Riva est psychologue FSP, thérapeute d’orientation systémique et stratégique. Après avoir travaillé en tant qu’éducatrice de l’enfance et que praticienne formatrice dans un centre de vie enfantine, Nadia Riva a effectué un master en Psychologie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Lausanne. Durant ce master, elle a effectué son stage au Centre Sésames où elle s’est formée à l’approche systémique et stratégique de Palo Alto, avec l’équipe de Sésames et des centres à 180 degrés/Chagrin scolaire fondés par Emmanuelle Piquet.